Libération 2

Publié le

Avant que les convois de GI n'aient pu traverser le village pour aller bouter plus loin l'ennemie défait, j'ai vu arriver les deux premiers camions alliés dans un autre tout petit village. Beaucoup plus petit que le nôtre. Encore que la ferme dans laquelle j'étais se situait à l'écart. Dans un hameau nommé le Prieuré. Je n'avais toujours que neuf ans, mes parents m'avaient envoyé chez un oncle cultivateur, celui qui avait trois filles dont celle de mon âge, pour passer mes vacances d'été. Notre village était traversé par une voie ferré, le leur par une minuscule rivière, la Voire. Ils avaient pensé que j'y serais mieux abrité des risques de la guerre. L'oncle écoutait "Ici Londres", la tante guettait par la fenêtre. Nous, les gosses, à l'heure de la sieste obligatoire -on laisse se reposer les chevaux durant les grosses chaleurs- jouiions au papa et à la maman dans l'abri d'un cognassier, bien pâles évocation de Tarzan et de Jane dans les branchages convulsés.

Quand tout à coup, tel l'ami de  Marcel arrivant chez les vieux de Daudet, un half-track et un GMC ont débouché du virage de la route blanche qui vient de Lesmont, ont hésité entre prendre à droite sur Brienne ou à gauche sur Aulnay, se sont arrétés sur le pont de la petite rivière. Les villageois étaient déjà là qui les acclamaient, drapeaux américains et français mélés. Toute la maisonnée s'est précipitée. Ma tante avait crié : "Ils arrivent..." Mon oncle avait laissé tomber son quotidien "La Terre", qu'il avait l'habitude de parcourir en écoutant les infos. Les deux grandes soeurs de ma cousine complice, en âge de curiosité pour ces soldats libérateurs, s'étaient regardées furtivement en passant devant la glace du couloir, sans s'arrêter à perdre un temps qui pouvait être précieux. On est arrivés avant eux : notre cognassier était à mi chemin de la ferme et du pont. Mon oncle a pris sa fille a bout de bras, l'a tendu aux soldats comme un porte bonheur, d'autres leur ont offert des oeufs, des fleurs, n'importe quoi et de bon coeur.

Ils ont remercié, distribué des cadeaux de soldats, puis ont interrogé. Ils s'étaient égarés. Les Allemands étaient encore là, ils ont fait comprendre qu'il fallait vite rentrer les drapeaux et repartir aux champs.

Un autre jour, le Prieuré serait libéré...

Publié dans Témoignage

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article