Les deux chevaux de mon oncle 5/4
L'attelage en ligne
J’ai vous ai parlé des chevaux, des vaches écornées, du coq et de ses poules, de la naissance des lapins russes et du sort d’eunuques réservé aux mâles. Il me reste à vous présenter les deux chiens du paysage.
Un mâle et une femelle, mais pas en couple. L’un de garde du corps de ferme et l’autre pour les souris des champs. L’un logé en cabane, été comme hiver, la nuit comme le jour. Attaché à une chaîne à l’entrée de la cour. L’autre vivant à la maison, accompagnant le maître aux champs, deux pas derrière le pantalon de velours cotelé, dormant la nuit dans la paille près des chevaux. A l'abri des intempéries, des pluies, du vent et des gelées.
Le gardien alertait volontiers. Un mouvement insolite, même au loin et tout de suite c’était l’alarme… « Il ne va pas se taire ! » disait ma tante, le soir à la veillée, en aparté, mais assez fort pour que l'oncle l'entende et que sa voix de mauvaise humeur l'incite à sortir le sermonner : « Ca doit être un chat, ça va passer » lui répondait l’homme au repos après sa journée pour la faire patienter. Jusqu’à ce que ma tante ouvre une fenêtre et crie pour faire taire le chien : « C’est pas bientôt fini ! T'as eu ta gamelle ! Couché… ! » Des fois, ça marchait, des fois pas. Le plus souvent, l’oncle sortait calmer sa bête. Autant par des menaces de sanctions pour la gêne occasionnée que par des compliments pour le zèle à bien faire son métier.
Nous, les enfants, on n’avait pas le droit de s’en approcher. Il n’aurait pas mordu (enfin, je crois) mais il était si fou à tirer sur sa chaîne, courant en arc de cercle dans l’angle d’un mur et de la grille, autour de l’axe du piquet fixé au pied de la cabane, qu’il aurait pu nous faire tomber.
Mirette, c’était autre chose. La preuve, je me souviens de son nom. Une chienne âgée, qui ballottait ses mamelles sous un ventre distendu. Au champ, en hiver, au temps des labours, elle suivait l’oncle dans la roie, tout juste découpée par le coutre, ouverte et retournée par le soc de l'araire. Toujours à deux pas du bas de pantalon du maître. L’été,
c’était autre chose qui la faisait marcher : les souris découvertes sous les tas gerbes, cinq assemblées pour une pile, jusqu'à douze pour une potée ! Affolées ou aveuglées, les trottes menues ne trouvaient pas toutes assez vite la porte de leur maison souterraines.
En deux mots, voilà pour ce qui en était des chiens.
Un tout petit dernier regard sur une dernière race d'utilitaires : les chats.
Nourris à la porte, mais à l'extérieur. Logés à leur gré, étable ou aire de grange, ils avaient à choisir et pouvaient découcher. Branche mineur de la communauté, on ne les approchait pas. La volonté était de les garder nature. Sans caresses ni ronrons qui vous gâche un chasseur. Leur raison d'être ? Les souris des bâtiments dont la régulation du nombre leur incombait.
Mais revenons aux chevaux.
Le cheval, à la ferme, c'est le vrai compagnon. Celui avec qui l'homme partage ses souffrances d'efforts, ses déceptions d'échecs, la fierté des réussites communes.
Le couple n'est pas sans anicroche. La bête est capable de se cabrer quand elle souffre d'injustice. Et le maître peut crier, menacer, si la tâche exige encore plus de l'animal.
Chez mon oncle comme le plus souvent chez d'autres, ça n'était pas le maître qui était exigeant, mais le travail. Aussi exigeant de l'homme que du cheval. Encore que, malade ou blessé, on attendait du cheval qu'il guérisse avant de le remettre au travail. C'était un peu la raison d'être de l'arrivée de Mignonne, que ma tante lui reprochait quelquefois quand les fonds étaient au plus bas : "Avant d'acheter ta pouliche, tu y arrivais avec un seul cheval...! "
Oui, mais Lami s'était fait vieux, Mignonne était devenue nécessaire.
L'homme, seul, ne pouvait pas toujours attendre de guérir. Qui aurait préparé la terre pour semer, semer pour faire pousser, dédoublé les betteraves à fourrage, butter les pommes de terre, faucher les récoltes... Et qui encore les aurait chargé au juste temps de leur murissement ?
Ma tante et les cousines ? Peut-être !
Mon oncle avait deux chevaux, la ferme n'avait qu'un maître