Le temps des cerises
Mon ami le merle
Depuis quelques jours, j'entendais les étourneaux criailler autour de mon bigareautier.
Pas vraiment "autour", mais pas loin. Chez des voisins, un peu à l'est de chez nous. Ils devaient être une bande, comme même les Parisiens en voient parfois quand ils partent en campagne ou qu'ils vont en vacances.
Depuis quelques jours, je surveillais : le murissement des cerises, les cris des étourneaux. Eux aussi guettaient. Je m'inquiètais de voir leurs éclaireurs passer, survoler, faire le tour et repartir rendre compte. Dés que l'arbre du voisin, aux fruits plus précoces, serait déshabillé, ils s'abattraient sur le mien...!
Entre cueillir les fruits verts ou ne récolter que les queues (qui font, dit-on, de bonnes tisanes) il ne fallait pas rater le bon jour ! Quelques bigareaux, les plus mûrs, commençaient à être attaqués par des becs. J'en ai conclu que le meilleur moment serait ce matin.
Notre bigareautier, c'est un grand arbre ! Gros et fort. Qui doit bien avoir quarante ans. Quand je l'ai planté, en même temps que deux pommiers, un prunier et des groseillers, j'avais une trentaine d'année.
C'était du temps où l'on prévoyait pour plus tard. Pour beaucoup plus tard. On se prémunissait. Pour les mauvaises années, pour s'il y avait "la guerre, pour ses vieux jours ! On plantait pour ses enfants... On vit plus longtemps aujourd'hui et d'avantage au jour le jour. On satisfait sur l'instant des goûts qui changent tous les jours. On achète, pour manger, ce qui plait au moment. Cela n'est pas nostalgie, ni jugement de valeur, les temps sont différents.
J'ai commencé à cueillir à genoux (les branches basses, allourdies de fruits mûrs, descendent jusqu'au gazon) puis me suis relevé pour cueillir plus en haut. Enfin, j'ai pris mon escabeau. Demain je sortirai la grande échelle. Au loin, les étourneaux continuaient de crier. Autant le roucoulement de la tourterelle semble évoquer l'amour, autant le chant de l'étourneau perce les tympans comme un cri de dispute. Ils se disputaient donc, mais au loin et je cueillais tranquile.
Quand un oiseau gis-brun, à bec jaune, vint se poser sur une branche, tout près de ma tête. Il aurait du s'enfuir quand il m'a vu ! Mais non, il s'est attaqué aux bigareaux tout en gardant un oeil sur moi.
- Tu peux me laisser en cueillir un peu...?
Il a jeté un regard étonné, et puis s'en envolé. Avant de revenir, sur l'autre versant de l'arbre.
C'était un merle. Un oiseau familier. Ils sont quelques un à partager la propriété. Sans trop géner. L'hiver, ils font taches sur la neige, quémandent à manger. Et à boire quand leur eau est gelée. Pour la survie de mes bigareaux, rien à voir avec le risque d'invasion des étourneaux. Je ne crains pas de les partager avec les merles, ils m'en laisseront assez. Et me paieront bientôt de leurs chants : la saison de leurs amours n'est pas loin...