La jolie dame blonde et le mignon petit chat
Je vous ai entrecoupé le texte en cinq tronçons pour que vous puissiez ne pas tout lire le même jour. (En plus, vous n'êtes même pas obligé de le lire du tout : l'homme ne fait que proposer...)
Et d'abord, c'est trop long ! Surtout à lire à l'écran...
Merci de me laisser quand même des coms, j'aime bien. (Au fur et à mesure de vos passages... si vous le voulez bien.)
Merci !
Et si quelqu'un a le courage d'aller jusqu'au bout, qu'il me le dise. Il n'y a rien à gagner mais ça n'empêche pas de participer... Non ?
L'achat du petit chat
Accrochée à la queue de ma mère pour cause de jeu de mordillement, j’avais été propulsée sur le carrelage en tommette rouge par une baffe d’énervement lancée d’une patte agile (mais feutrée) aux griffes acérées (mais rétractées). Je me ramassais pour y retourner quand la maîtresse à dit : « Entrez ! » Assez fort pour qu’on l’entende de l’extérieur et pas trop, pour pas nous faire peur. Ce qui ne risquait pas : le bruit de la sonnette nous avait mis en alerte avant qu’elle ait dit « Entrez ! » C’est le bruit de la sonnette qui aurait pu nous faire sauter. Mais il l’avait pas fait : j’étais trop occupée.
La maîtresse, elle en a fait mettre une qui sonne fort (de sonnette) pour qu’elle l’entende quand elle est au jardin ou dans le bûcher - qui sont à l’extérieur. Sauf qu’elle l’a fait mettre à l’intérieur et que ça aurait pas dû être l’endroit à choisir pour l’entendre de dehors. Tout ça pour dire qu’on a plus peur de la sonnette que du « Entrez ! » qui s’ensuit.
On s’est vite réfugiés dans notre panier, mon frère mes sœurs et moi, les uns poussant les autres, et on s’est tous écrasés sur les coussins pour se cacher derrière les bords d’osier. Sauf les têtes qu’on avait été bien obligé de laisser dépasser jusqu’aux yeux : pour voir sans être vue.
Cinq chatons curieux, ça devait faire un sacré panier de chats avec la mère qui nous couvait encore un peu quand on avait besoin.
C’est alors qu’une jeune dame blonde aux joues roses est entrée avec un grand sourire et des lunettes de soleil restées sur le nez qu’elle avait mutin, comme on dit pour exprimer, d’un mot, la beauté d’un nez qui n’est pas aquilin – et le sien l’était pas. Quoique à le regarder de près (ou de plus loin pour un chaton au regard « persan ») on pouvait y déceler - seulement imaginer peut-être - une trace d’ancienne fracture. Chute de vélo souvenir d’enfance, peut être, qui ajoutait au charme de l’ensemble. Au vrai, ses lunettes sont de vue malgré leurs verres teintés. Elles sont aussi sur son permis de conduire : elle n’a pas le droit de les enlever devant un gendarme ! Et des fois elle les garde, par oubli de les retirer, mais tout ça, je l’ai su qu’après...
Je disais donc qu’elle est entrée avec ses lunettes de soleil et de vue… et son sac à main qui devait contenir un mouchoir brodé parfumé, un nécessaire de maquillage de secours, des papiers - toujours en cas de gendarmes - et un porte-monnaie, en cas de besoin.
Des photos aussi, probablement, les jolies dames blondes aux joues roses ont toujours des photos à montrer - et quand elles vous les font voir et les regardent avec vous, on sent leurs cheveux qui chatouillent et la chaleur de leur joue. Plus tout ce dont une dame peut absolument pas se passer et qui tient dans un sac de dame sans trop le gonfler pour que ça reste joli.
Elle est tout de suite venue s’agenouiller près de nous la dame blonde qui sentait bon. En minaudant qu’on était mignons.
Et d’en embrasser un, d’en soupeser une, caresser la troisième, avant d’en arriver à moi et encore dire qu’on était tous mignons et que cela allait être difficile de choisir.
C’est là que ma vraie peur nouvelle à commencer à poindre. Ca ne m’a plus du tout fait rire de la voir nous sourire. Si elle allait choisir notre frère qui était unique ? On allait se retrouver qu’entre filles ! Si elle partait avec la petite dernière, on n’aurait plus de souffre-douleur à faire souffrir. Une toute petite qu’on aimait du fond de nos cœurs, qu’on n’appelait «charculot» que pour rire, qui attendait qu’on termine de téter pour finir les mamelles…
REPERE N°1------------------------------------------------------------------------
La plus appliquée et la plus sage de nous. Qui était contente qu’on la taquine.
Nous, ça nous embêtait un peu que ça ne l’embête pas. C’est sûr : notre jeu, c’était justement de l’embêter. Mais pour ça, on pouvait pas faire d’avantage, on avait pas assez de méchanceté à sortir de dans nous. !
Et si la dame au sourire allait choisir notre mère... ?
On allait se retrouver orphelins… ! Tous les cinq !
C’était pas qu’on avait mis ou non assez de confiance dans notre maîtresse qui nous élevait (pas au grade supérieur : elle était éleveur, c’est tout… ) mais on avait appris à devoir avoir à craindre un peu de devenir un jour des « séparés ». On en avait déjà vu des bébés chats partir dans des bras ou un panier !
Une fois, dans un sac en drôle de forme de maison trop petite, aux murs de tissus qui semblait doux avec des dessins marrants : des chatons qui jouent avec des pelotes de laine qui se déroulent et s’emmêlent. Des chatons roux et gris rayés sur un fond bleu ciel du soir, comme on en voit sur les calendriers des postes et toujours ils partaient avant d’être grands et toujours avec une dame. Et quand je dis qu’ils « partaient avec une dame », c’est pas très courageux de le dire comme ça. C’était plutôt la dame qui les « emportait » avec elle… sans ne demander l’avis que de l’éleveuse et pas du tout du bébé chat ou de sa mère.
Des mères qui miaulaient comme on pleure. Avec de la peine. Et avec de la rage qui sort du cœur. A angoisser les portées de tout petits qui poussaient des cris de souris qu’on attrape avant de se rejeter sur les tétons de leur mère pour pas laisser perdre.
Cela pouvait bien nous tomber dessus pas tard la grande scène du « c’est qui le kiki qui part ! » Un jeu qui nous avait fait rire, quand on n'était que spectateurs. Qui était plus du tout drôle, quand on devenait acteur. Et actrice encore moins... Pour le coup, on avait plus envie de faire notre cinéma.
La maîtresse, c’était pas un vrai éleveur. Elle faisait faire quelques portées à quelques chattes, comme ça, dans la maison : elle aimait tellement les animaux. Surtout les chats et surtout les persans… Elle les soignait avec soin (pour préciser qu’elle les soignait « bien » : si je disais seulement qu’elle les soignait, on ne saurait pas si elle les soignait bien ou mal… et moi je dis qu’elle nous soignait « avec soins » et que je peux le dire puisque j’étais soignée par elle)
REPERE N°2------------------------------------------------------------------------
Comme un cultivateur de champs soigne ses blés.
Elle les aimait ses chats : autant qu’un éleveur de lapins de cabanes aime ses lapins... Et elle, c’était pas pour nous manger qu’elle nous aimait. Comme un boucher aurait aimé ses petits salés si le grand Saint-Nicolas n'était pas passé à temps par-là ! Ni pour nous faire manger, comme elle disait que le Père Lustucru avait fait « et que si on n’était pas sages, elle allait l’appeler en criant par la fenêtre qu’elle nous avait perdus ». (Des fois, nous, les bébés chats, pour rire, on l’appelait la « Mère Michelle » en disant qu’on l’élevait au rang de mère comme elle nous élevait au « lait de mères » et en se poussant du coude.
Mais quand même, on ne l’appelait, en pouffant, que « sous cape ». Pour que notre mère à nous - de sang et de lait - entende pas. L’humour et elle ça a jamais été le grand amour. Et çe n’est pas avec ses charges de famille qu’elle fait comme métier que ça pouvait la faire rire. Je l’ai toujours vue avec comme du respect pour sa maîtresse.
Elle nous aimait comme elle devait le faire, notre Mère Michelle. Assez pour nous faire beaux et belles, de bonheur et de sans soucis, mais pas trop, pour qu’on s’attache pas au cocon de la famille d’élevage.
Les persans, c’est ce qu’elle préfère, l’éleveuse.
- « C’est ce qui plaît le plus » qu’elle disait aux visiteurs extasiés de nous voir si beaux dans son couloir. Et justement, nous qui étions les plus beaux, sûr, elle n’allait pas nous laisser partir, petits comme ça ! Un autre jour peut-être, mais plus tard, pas là…
- Je crois bien que ce sera celui-là » a dit la belle dame blonde à la peau douce après nous avoir longtemps caressés, embrassés et grattouillés partout, (même que le petit frère, qui nous traite de « pisseuses » pour dire qu’on n’est que des filles, s’était un peu laisser aller à des ronrons venus tout droit de son cœur que c’en avait été indécent pour la dignité persane qu’il faut pas croire qu’on n’est que des bêtes : on a des lettres.)
- Oh ! Oui, pardon, c’est ce que je voulais dire… » s’est excusée en rosissant la belle dame jeune qui sentait bon - mais que de près son Shalimar était quand même un peu fort pour un tout jeune odorat qui aurait été déjà capable de repérer un souriceau caché sous l’évier de la cuisine s’il y en avait eu un mais avec notre tribu, ça ne risquait pas. « Pardon » qu’elle s’est encore excusée toute seule la dame au sourire de demoiselle heureuse en me retournant sur le dos dans ses mains allongées pour me faire un bisou qui chatouille sur la truffe et qui m’a fait éternuer en postillonnant à cause de mes yeux trop grands et de mon nez trop court. Cela a dû l’amuser que je l’atomise parce qu’elle a rit en me promettant de m’apprendre à mettre la patte devant mon nez la prochaine fois : « Les deux papattes, serrées l’une contre l’autre : elles sont si petites qu’une seule ne suffirait pas ! »
C’est là que j’ai su que c’était pour moi !
REPERE N°3-----------------------------------------------------------------------
Sincèrement : je ne m’y attendais pas ! Vraiment pas…! Je le jure ! Ca avait été la douche fraîche la plus froide qui me soit tombée dessus depuis la dernière toilette que l’éleveuse nous faisait supporter : « pour qu’on ait le poil qui gonfle » qu’elle disait et que ça faisait faire un jeu de mots pas très fin à mon frère qui est un peu lourd et que notre mère dit que c’est normal parce que c’est un garçon.
J’étais pas encore partie que déjà j’en revenais pas !
C’était la première de portée qu’on déportait en premier !
La plus belle des bébés persanes tricolore qu’on larguait en avant-garde ! Qu’on exportait, qu’on sacrifiait, qu’on débarrassait du panier maternel.
J’avais peut-être pas toujours obéi aussi bien que les autres ? Encore que, mais admettons. Si c’était pour ça qu’on me déblayait de la maisonnée, c’était me faire payer bien cher les moments d’insouciance de l’enfance ! Non ? …
On allait me séparer de ma mère qui continuerait à lécher ceux qui restent et qui continueraient à jouer ensemble. Et même sans moi, puisque je serais partie. Un bébé abandonné qu’on aurait tôt fait d’oublier. Qu’on allait reléguer jusqu’à la trappe du fond de la mémoire qui sert de dépotoir aux souvenirs qui gênent.
J’étais vendue et achetée à la fois. Deux mots insultant pour tout homme honnête. Achetée comme un traître, vendue comme une lâcheuse. Comme une boîte de Félix avec un chat moche, blanc et noir (et bête) un paquet de croquettes qui sentirait la morue sèche pas fraîche, une salade même pas épluchée, un poireau qu’avec rien que son vert la poubelle serait pleine sans que son blanc suffise à nourrir un nouveau-né… J’allais servir à quoi dans l’autre monde qui s’annonçait… ? Devenir quoi une fois soustraite…?
Objet de décoration de salon peut-être, belle comme on dit que je suis ? Piège à souris aguerries contre les tapettes et la mort-aux-rats, avec le flair-radar qu’on m’accorde ? Souffre-douleur de boutonneux ou de pisseuse ? Pourquoi pas : « Une vraie peluche » qu’on dit encore aujourd’hui de moi la première fois qu’on me voit (et même la deuxième si je change de pause).
Que notre maîtresse-éleveuse, qui a la peau rêche et sèche et la voix rauque, qui nous a toujours bien traités mais jamais cajolés nous vende, ça n’a déjà jamais été agréable. Mais qu’une blonde, même jolie et qui sent bon et tout, m’achète, alors ça, ça m’a déçue, vous ne pouvez pas savoir…
Ca m’a fait comme à la goutte de trop versée dans un vase déjà plein qui se fait bombarder par toutes les autres gouttes qui lui reprochent de les avoir entraînées dans sa chute alors que ça n’est même pas vrai que c’est sa faute !
J’aurais compris qu’elle m’adopte et même, si j’avais été orpheline, je crois que j’aurais aimé. Mais qu’elle m’achète, qu’elle honte ! Pour moi, mais aussi pour elle ! Non ?
Plus les palabres continuaient, plus je sentais mes oreilles se dresser, mes yeux s’agrandir et ma tête se pencher pour comprendre. Et plus je comprenais, plus je sentais la peur entrer dans moi. Une peur du vide que j’allais forcément avoir dans la tête si on m'emmenait vers ce que je ne connaissais pas. J'allais laisser ici tout ce que j’y avais mis.... Devenir un néant perdu dans l’infini ! Peut-être... Va-t-en savoir : quand on ne sais pas, on ne sais pas, et ça fait peur ! Non ?