Cétait un bon gros toutou notre Tonnerre
Patience et persévérance d’un chien fidèle Rituel d'un dimanche matin
Le dimanche matin, il savait que c’était son jour. On allait se promener tous les deux, dans les champs, sur les chemins, entre les treilles, en bordure de bois… Pas en sous-bois, j’aurais eu trop peur qu’il se perde.
Si : un chien, malgré son flair, il arrive qu’il se perde… Qui n’a jamais vu, habitant ou de passage en campagne, une petite annonce, dans la presse ou sur la porte d’une boutique du village : « PERDU CHIEN SETTER » (si c’est un setter que le maître a perdu…) suivi du numéro de téléphone à appeler.
Tonnerre, c’était le nom commençant par un « T » que nous lui avions choisi et qui lui allait bien. Il n’était pas chien de chasse. Plutôt de compagnie. Un bon gros toutou de bonne compagnie, mais qui impressionnait.
Babines tombantes et mufle court, mâchoire d’étau hérissée de crocs blancs, sa truffe humide semblait humer le ciel. Poitrine bombée comme en ont les lutteurs de baraques foraines, poil ras, dur et dru, Tonnerre était un « Boxer » catégorie mi-lourd. Une tache blanche seulement, à l’avant du poitrail, venait rompre l’immaculée de sa robe fauve.
Ses oreilles dressées pour avoir été coupées, conformément aux règles barbares de l’époque - qui avaient décidé que sa queue aussi serait amputée- il avait, contre ce mauvais sort, une grande allure. Un port de tête qui avait gardé la noblesse naturelle de la race, malgré cette chirurgie qui se disait « esthétique ».
Tonnerre, c’était davantage le chien de mon épouse que le mien, sauf le dimanche matin.
La nuit, il couchait à la cuisine, toutes portes intérieures ouvertes, savait que la chambre et le canapé du salon lui étaient interdits.
Chaque matin de la semaine, il attendait que l’on se lève pour s’étirer dans son panier dont il faisait craquer l’osier.
Mais le dimanche matin, si l’on voulait flemmarder au lit, mieux valait ne pas bouger un seul de nos quarante petits doigts dans les draps, fut-il de pieds : il avait l’ouïe plutôt fine.
Dès le jour levé, il quittait la cuisine, s’avançait dans le couloir jusqu’au pas de notre porte et s’arrêtait. Il venait voir, s’informer, se tenir au courant de l’état de notre réveil.
Quand c’était trop tôt, il le comprenait, partait se recoucher… Revenait un peu plus tard, jusqu’à ce qu’il juge que l’heure était honnête et là, il s’installait.
Assis pour commencer, il nous surveillait. Sans bruit de gorge ni de griffes, qui auraient pu gratter, la porte ou le carrelage... Si l’attente était trop longue, Il finissait par se coucher, de toute sa longueur, la tête posée sur le bout de ses pattes, qui se redressait s’il croyait nous entendre. Quand il jugeait que l’on n’était pas loin de la bonne heure, il respirait plus fort. Soufflait comme on se mouche quand il pensait que l’on exagérait. Mais n’entrait pas…
La maisonnée restait au calme.
Jusqu’à ce que, toute chose ayant une fin, on ouvre enfin les yeux.
Et là, la pantomime commençait : debout, le moignon de queue qui frétille, les restes d’oreilles qui se dressent, il se mettait à danser. Tourné tantôt vers nous, tantôt vers l’autre bout du couloir, qui mène à l’extérieur. Puis partait s’installer au pied d’un radiateur, comme s’il avait à le garder.
Mon petit déjeuner terminé, il se manifestait à nouveau. Venait m’attendre à la porte de la salle de bain, essayait de m’entraîner jusqu’à son radiateur. Et quand enfin je me chaussais, avec ces vieux godillots de jardin qu’il connaissait, que j’enfilais mon vieux blouson qui ne servait plus qu’à ça, ça devenait de l’hystérie. Me jappant, sautant sur place, s’élançant dans un sens, revenant à l’envers, dérapant sur le carrelage… il devenait intenable.
Pour me faire de l’avance, il empoignait sa laisse entre les dents, tirait dessus, arc-bouté des quatre pattes sur ce sol sans accroche, pour essayer de l’arracher de ce fichu radiateur qui nous servait de « porte laisse ».
Quand enfin la porte s’ouvrait, ses trente kilos se jetaient si fort dans le passage que j’avais à le tenir serré, la main au plus près du collier.
Jusqu’à l’arrivée dans les champs, c’était à qui tirerait le plus fort sur la laisse, lui voulant s’élancer et moi le retenant.