Héros ou martyrs, c'est leur jour de clairon

Publié le par aben

Le clairon sonne la charge des poilus sous la mitraille

Ma mère est née en avril 1897. Elle avait de 17 à 21 ans pendant la guerre que l'on a qualifiée de "grande".
Elle nous a laissé un "cahier" qui retrace sa jeunesse, dont ces quatre années, résumées abruptement en quelques lignes. 
En ce jour anniversaire dédié à nos "héros",  son témoignage prosasïque apporte une image moins lyrique de ce massacre des innocents.
Extrait :

...puis hélas, ce fut la guerre. 
Mon beau-frère, Etienne, appelé le deuxième jour de la mobilisation, mon frère Petit-Louis, le deux septembre et mon frère Gaston début novembre. Mon beau-frère avait une fille de deux ans, Denise, et Renée était encore bien jeune pour conduire une culture. Et puis, on était en pleine moisson. 
En entendant le tocsin – il fauchait un champ de blé - il a descendu de la moissonneuse, dételé les chevaux et est rentré à a maison. 
Quel déchirement ! 
Mon frère Louis est parti en chantant : « On allait vite revenir ! Guillaume ? On allait lui couper les oreilles ! » 
Gaston est parti… parce qu’il fallait partir !
Ils furent tous les deux incorporés au 10ème Génie à Angers. Mais quand Gaston arriva, Petit-Louis était déjà au front. 
Petit-Louis fût blessé au Mort-Homme, un éclat d’obus dans le genou. Il fût quatre mois dans les hôpitaux. 
Il boitait encore quand il fut réincorporé au 92ème d’infanterie. 
Il était au Chemin des Dames.  

Un jour, il nous écrit en nous disant : "C’est la dernière fois que je monte au front, demain je pars vers vous". 
Le lendemain, nous recevons une lettre – c’est moi qui l’ai reçue, car j’allais toujours au devant du facteur. (J’avais une telle correspondance !) 
Hélas, cette lettre émanait d’un grand copain de Petit-Louis ou il nous annonçait la mort de mon frère, tué d’un éclat d’obus en plein cœur à la ferme de la Royère. C’était le trois mai 1917, Petit-Louis avait 23 ans. 

L’année suivante, ce fût mon frère Gaston qui fût gazé en descendant dans un puits de mine, car il était « sapeur-mineur ». 
On les descendait dans le puits avec un câble. Ils étaient trois. Mon frère était le troisième accroché au câble. Quand il vit les deux premiers tomber au fond du puits, il donna le signal et on le remonta. 
Par des fissures de la terre, des gaz s’étaient accumulés au fond du puits. Quand on le remonta, il était trop tard, le mal était fait. A l’infirmerie, le toubib lui dit : « Reste avec moi, mon petit gars, à l’arrière, les hôpitaux sont pleins, « ils » vont te laisser crever ». 
Quelques temps après, il vînt en permission. En faisant sa lessive, ma mère s’aperçut qu’il avait, dans ses mouchoirs, une sorte de poussière toute noire. Elle lui demanda ce que c’était, il lui répondit en riant : « Tu ne vois pas que je crache mes poumons ! » 
Il ne croyait pas si bien dire. 
Il décédait en décembre 1940, tuberculeux jusqu’à la moelle des os. 

Tous ces jeunes et moins jeunes, qui moururent ainsi, moi je dis qu’ils furent assassinés ! 
On disait : « Ce sont des héros ! » Ce n’était que des martyrs !

Ecrit sur cahier d'écolier, en 1987 par ma Mère, dans sa 90ème année

Publié dans Témoignage

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F
Le témoignage de ta maman est sans concession, elle a raison, les commanditaires de toutes les guerres ne sont  que des assassins.
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A
bonsoir aben, moi je tenais mon journal pendant mon service militaire , mais ce que j 'y inscrivait était moins dramatique bien sur.        c 'est toujours émouvant de retrouver de tes documents.                 j ' ai pleuré en lisant le livre intitulé " le pantalon " il retrace bien cette douloureuse période pas si lointaine finalement.                 Amitiés...     Alain.
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J
oui, je dois dire à Gelzy, que pour ouvrir une commentaire chez toi il faut demander une fenêtre nouvelle (ou tab) puis aller le voir, il reste caché derrière le blog et on a l'impression que ce n'était pas ouverte.Merci pour nous donner ces lignes simples et si percutants et forts de ta mère. Tous les guerres sont affreux, mais la première guerre mondiale (on l'appelle ainsi aussi je crois) était spéciallement meurtrier. On s'y mettait bêtement, par patriotisme ou parce qu'il le fallait, pour "honneur" ou pour être là aussi. Mon grand-père, de l'autre côté, était sapeur aussi, construisant des ponts et il s'en était sorti blessé au dos à vie. Puis, quelques années plus tard, pendant la deuxième guerre quand on l'a traité de pestiféré parce qu'il était d'origine juif, il n'arrivait pas à comprendre: "mais j'ai fait mon devoir, j'étais là quand on avait besoin de moi!" Il ne comprenais pas comment c'était possible que subitement, on ne le considérait plus comme hongrois, comme citoyen de part entier. "J'ai fait mon devoir"Ma mère me racontait aussi la guerre, elle était très jeune, et ils n'avaient pas grand chose à manger ce temps-là. J'étais trop jeune et trop préoccupée pour l'écouter, hélas, alors.Oui, c'est fantastique que tu as pu conserver ses souvenirs et tu vas nous le montrer, n'est pas?
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P
J\\\'ai lu avec intérêt la lettre de ta mère. Quelle misère ,que de souffrance. Pour ma part , je sais que mon grand père a été prisonnier et a eu la chance de revenir parmi les siens .Pendant cette guerre ma maman ses frères et soeurs  aidaient ma grand mère aux  travaux de la ferme dès que la force leur a permis de le faire et sont peu allé  à l\\\'école . Seulement trois mois en  l\\\'hiver, la terre étant au repos .Mon grand père est resté muet, ne nous en a jamais parlé .Peut être trop dur à exprimer .
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P
Poignant témoignage de ta maman. Et rien ne change, c'est désespérant.<br /> La loi de paix met une vie humaine au-dessus de toutes les victoires. disait Pasteur, pourquoi ces personnes ne sont-elles pas entendues ?
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