Mais quelles mouches vous piquent...?
Le jour où je suis tombé dans le trou…
C’était après la guerre. Après la deuxième. (J’étais pas né à la première, faut pas non plus exagérer mon âge).
Un tout petit peu après que les Allemands étaient rentrés chez eux en nous laissant notre chez nous, qu’on n’avait plus qu’à reconstruire.
J’avais tout juste plus de dix ans cette année là : puisque je suis né en 35…
C’était pas encore l’abondance dans les rayons de nos épiceries. Ni à l’étal de notre boucher. Chez notre boulangère, on avait le choix entre la couronne et la baguette d’un kilo, (qui pesait bien un kilo mais qui s’est allégée en poids pour pas trop s’alourdir en prix).
On avait gardé des habitudes de privations. Le cochon grognait dans la soue qu’on lui avait montée au milieu de notre cour aux poules, on rafourrait les lapins le midi en même temps qu’on donnait le grain aux poules, et on avait des champs, sans être « cultivateur » !
D’abord un grand jardin et un verger, autour de la maison. Et deux vignes, une dans la Varille et une dans Silloneau. Et aussi un verger qu’on louait, le long de la nationale. Et un autre avant la vigne de la Varille. A côté de celle de Silloneau, on jardinait « plein champ ». Pommes de terres, haricots en grains, échalotes et oignons, un peu de betteraves pour les lapins…
Ce jour là (que je suis tombé dans le trou) c’était un jour d’été… Je traînais un peu la patte derrière mes parents qui s’en revenaient à pieds de butter les patates et de piocher les haricots.
Sillonneau, ça faisait bien deux kilomètres pour y aller. Et autant pour revenir. Avec des passages à travers champs, dans des terres en friches ou retournées et dans les étroubles de moissons fauchées… Et avec des galoches à semelles de bois qui pesaient bien deux tonnes…
Je traînais donc la patte, un peu à cause de la fatigue, un peu par manque de « motivation » comme on dit aujourd’hui : en ce temps-là, on proposait plus couramment un coup de pied aux fesses pour faire avancer un gosse bougon, qu’une récompense à l’arrivée. Ca le motivait tout pareil et c’était plus rapide…
Je ne parle pas pour moi : j’étais un gentil garçon qui avais de gentils parents. Pas câlins, non, mais justes, attentifs et courageux…
Je marchais donc derrière mon père, qui tenait sa pioche sur l’épaule, comme un soldat son fusil, et ma mère qui avait la sienne qui se balançait au bout de son bras à la cadence de ses pas.
Quand c’est arrivé, on marchait dans cet ordre - et dans les éteules. Un trou, que je n’avais pas pu voir parce qu’il était recouvert, m’avait fait trébucher… Et je m’étais senti piqué… Partout !
Tétanisé, j’étais resté planté dans le trou de terre comme un échalas qu’on aurait tout juste repiquée. Et repiqué, j’y étais. Par des guêpes. Un essaim qui était sorti du nid pour me faire la fête en farandolant en chanson tout autour de ma tête : bzzz, bzzz, bzzz…
Planté là, gesticulant mais son coupé, j’avais l’air de mimer une histoire sans parole comme l'aurait fait Charlot qui aurait perdu sa canne… Jusqu’à ce mon père me demande, sans se retourner, de ne pas traîner… Et encore : jusqu’à ce qu’il se retourne, et qu'il comprenne, et qu’il coure me soulever par les épaules, et m’emporte plus loin... Lui ne s’est pas fait piquer.
Allongé à 100 mètres de l’ennemi, déshabillé par ma mère pour chasser les intruses, déchaussé pour laisser aux pieds la liberté de gonfler, c’est mon père qui m’a ramené, sur ses épaules. Ma maman a raporté les deux pioches, sa petite serfouette légère et la grosse à essarter du père.
Il restait plus des deux tiers du chemin à faire.
A l’arrivée, ils ont annoncé le score : 21 piqûres ! Ca devait être plus que ce qu’on avait tué de guêpes.
J’avais l’air d’avoir supporté et c’était pas l’heure des consultations, on m’a frotté avec du vinaigre et on m’a couché.
Il m'a fallu quelques jours pour que j’élimine tout, mais j'avais le temps, le lendemain, il n'y avait pas école : puisque c'était l'été !
Depuis, quand, par maladresse, je fais peur à une guêpe et qu’elle me pique pour se défendre, c’est elle qui souffre le plus…