Moi et mon permis de conduire
SUR LE DOS DE L'INEXPERIENCE
Un permis ça n’apprend pas à bien se conduire
J’ai eu l’occasion, de vous dire, dans ma note « A ceux des ados qui pourraient avoir à complexer » pourquoi je suis né de parents âgés.
Ceci justifiant que mon père ait eu 66 ans quand j'en suis arrivé à ma 18ème année.
Sa C4 (une voiture Citroën de l’époque) détruite durant l’exode, la guerre qui a suivi, une santé fragile et l’âge qui commençait à peser, ont fait qu’il n’a plus jamais souhaité avoir à reconduire.
Mais que j’apprenne et qu’il achète une voiture pour que l’on aille se promener en famille ne lui est pas apparu incongru.
C’est comme ça qu’à dix-huit ans j’ai suivi des cours d’auto-école en me rendant à Troyes, à vélo, et que j’ai été tout fier d’avoir mon papier rose pour avoir réussi ma dernière marche arrière à angle droit, en suivant le bord d’un trottoir.
- Vous avez l'air étonné, m'avait dit l'examinateur. Vous en passerrez d'autres des examens dans la vie. Et des plus difficiles.
Quelques mois plus tard, l’auto est arrivée. Une occasion mais une belle. Une Citroën "traction avant", grise avec les garde-boue et le cache roue de secours à l’arrière noirs.
Pas une récente, sa carte grise la disait née en 1936 et on était en 1953. Mais bien conservée. Propre, sans rayure, les tapis de sol à peine marqués, le moteur astiqué, la carrosserie lustrée et un kilomètrage-compteur de jeune fille …
Une voiture qui aurait mérité un apprenti plus chevronné.
Une nuit de mariage, on m’avait demandé -ou je m’étais proposé- d’aller reconduire une famille qui avait un enfant à aller recoucher. Pas très loin. Quelques dix kilomètres peut-être. Tout le monde avait confiance. Sportif à l’époque, je faisais du vélo, je ne buvais donc pas. Calme et plutôt serein, pas du genre à faire des rodéos.
Les parents et l’enfant à l’arrière, ma cavalière à mes côtés, tout s’était bien passé… à l’aller.
Au retour, ça s’était gâté.
Silence d'un couple qui se repose sur la banquette arrière, ronronnement du moteur, la tête de ma voisine qui somnole sur mon épaule, on rentrait bien tranquilles quand tout à coup, dans les phares, j'ai vu surgir un virage. En face le chemin d'entrée d'une ferme : un chemin de terre, cahoteux. A gauche, ma route qui continuait à 45 degrés...
Heureusement, j’étais en « traction », la voiture miracle de l’époque, celle des FFI de pendant la guerre et des hold-up dès la libération. « La » voiture qui s’accrochait tellement à la route que rien ne pouvait l’en faire dévier.
Sauf ce virage-là, qui avait fait crisser les pneus avant de leur offrir l’herbe de l’accotement à brouter, et l'avait couchée sur le côté. Elle avait encore continué de glisser, dans le fond d'un fossé qui lui avait fait un lit. Sur quelques mètres elle s'était faufilée entre un poteau téléphonique en bois et le mur d’un hangar en briques. Sur ses quatre roues, elle n’aurait pas pu passer.
Des bruits qui restent gravés dans la tête : les pneus, l’impact, les cris –j' ai crié : « merde » pour conjurer le sort. Et brutalement, le silence. Un silence palpable. Total..!
Puis la vie qui reprend.
Pas de blessé apparemment puisque pas de gémissement, pas un mot tout d'abord, pas de plainte, pas d’invective : seulement le cri du cœur d’une maman : « Heureusement que c’est en revenant … ».
Une portière à ouvrir, à soulever plus exactement, que l’on n'imaginait pas si lourde, la tête que l'on passe par l'entrebaillement, deux roues qui tournent encore, les phares allumés, le contact qu'on vous dit de couper, la cavalière tassée au fond, contre l'autre portière et qu'il faut tirer pour l'aider à sortir. Un mari à l'arrière qui soulève aussi son épouse en la tirant par les bras. Deux hommes debout dans la nuit sur le flanc d'une traction qui dépasse d'un fossé..
Puis quatre ombres en quête d’une aide dans une maison voisine, dont on réveille l'occupant.
- « On a entendu le choc d'ici ! Pas de blessés ? Vous avez eu de la chance. »
Et c'est le retour dans la fête du mariage, vers trois heures du matin :
- « Vous en avez mis du temps… »
- « C’est la gamine, elle ne voulait pas dormir… »
- « C’est ce qu’on a pensé… »
On a décidé de ne rien dire jusqu’au lever du jour, que la fête continue, ça n’est pas tous les jours qu’on marie un parent.