Aux bonheurs de Maria Laborieuse

Publié le par aben

 La petite maison de ma voisine

Petits bonheurs d'une lavandière


Qu'elle était jolie la petie maison du fond de la cour de mes voisins, avec son toit de vieilles tuiles plates, ses poutres de bois de chêne noir apparentes et son torchis blanchi lissé qui lui rendait les honneurs dûs à toute belle immaculée.
Et son escalier de meunier extérieur pour monter les graines des volailles et le foin des lapins, les poignées de haricots en grains à écosser cet hiver et les longues aiguillées de champignons à suspendre, que le courant d'air allait sécher...
Et i'emplacement de dessous, abrité de la pluie pour le bois de chauffage de toute une semaine...
Et la cour même, toute plate et damée, qui résistait à la roue de la brouette chargée de la vieille Maria. C'était elle qui l'habitait encore quand j'étais tout petit. Une dame vieille et grosse à côté de moi tout petiot. Avec des cheveux blancs tout jaunes, un sourire à chicots, les rides de visage en traits noirs et une verrue sur un côté du nez.
Une dame grosse et rugueuse, habillée d'une blouse grise presque noire protégée d'un tablier plus clair. J'en avais un peu peur. Elle avait une voie forte. Quand elle me demandait en posant sa grosse main sur ma tête : "Ca va petiot...?", je n'osais pas répondre. "Ben dis quelque chose nigaud" m'invitait ma Mère.
Le mot nigaud, en ce temps-là, surtout dit par ma Mère, n'avait rien de vexant il signifiait timide, tout simplement. Timide et gentil plus précisément. 
Elle faisait "lavandière" la vieille Maria, comme on aurait dit pour une Portugaise. Nous, on disait "laveuse".
Elle allait, avec sa brouette vide, chercher chez ses clients la lessiveuse qu'ils avaient fait bouillir, puis descendait au lavoir.
Elle y avait sa caisse pour s'agenouiller, sa paille et son battoir. Pas sa brosse : elle la remontait chez elle avec son cube de savon. Ca aurait été trop facile de les lui emprunter.
Le matin, elle faisait ses courses, ses ouvrages et un peu de jardin. C'est l'après-midi qu'elle lavait pour les gens.
Toutes les laveuses du village se retrouvaient entre elles et formaient une tribu. Quelques unes pour leur propre linge, les autres pour laver le linge sale de celles qui n'avaient pas le temps, ou qui avaient assez d'argent pour ne pas avoir à le faire. 
Il fallait les entendre, de pas deux heures jusqu'à des fois six ou même sept heures. De la route, le bruit du battoir qui claquait sur le linge trempé d'eau savonneuse rythmait les bavardages. Tout les potins du village étaient au répertoire.
Des chansons aussi, des fois : Les roses blanches de Berthe Sylva, Parlez-moi d'amour, de Lucienne Boyer, Tino Rossi, Fréhel et la grande Piaf...
C'était gai, le lavoir.
Il y avait bien le dos courbé, les genoux douloureux, les mains dans l'eau brûlante et mordante de lessive décapante,  qu'il fallait retrempées aussitôt dans l'eau glacé du ruisseau en l'hiver... Mais c'était gai.
Chez elle, elle vivait seule, la vieille Maria. Ah ça, elle était heureuse de son "chez elle". Sa cuisinière, la toile cirée qu'elle venait d'acheter pour sa table, ses quatre-cinq poules qui venaient des fois la voir, le buffet qu'elle avait hérité de sa mère,  son lit en bois qui descendait du grand père paternel... Un lit avec sommier matelassier, matelas de laineà bourrelets et toupetes, lit de plumes de sa basse-cour. Une literie si épaisse qu'elle avait mis un petit banc tout contre pour monter se coucher.
Ca faisait si longtemps qu'elle vivait seule, elle s'était habituée...!
Mais quand même, le lavoir, c'était sa récré...
Et remonter un linge bien propre à rapporter à sa cliente, c'était sa fierté.

En hiver, ma Maman lui préparait un vin bien chaud pour qu'en tenant le verre elle se réchauffe les mains qui avaient trempées dans l'eau pendant des heures. Elles le sirotaient ensemble, en bavardant pour ne rien dire, pour être ensemble...

"C'est pas tout ça, j'ai encore à faire..." claironnait Maria en s'essuyant la bouche d'un revers de main. Elle pouvait rentrer dans sa petite maison encore si belle aujourd'hui, elle avait fait le plein de convivialité pour la journée.

Publié dans Au jour le jour

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P
Pour le poids des sacs , je ne sais pas vraiment , je pense au environ de 80kg , il faudra que je demande aux anciens . @++
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A
Ça c'est du grand André et la photo va à merveille avec tes mots aussi justes que jolis... Je te fais un gros bisou et je te souhaite une belle fin de semaine.
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R
trés beau billet ,j'aime bien, bonne contnuation a plus ...............................ROSE
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S
c'est plaisant a lire, tu sais si bien raconter
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M
je pars en seine et marne pour 1 jour ou 2 j'espère que mon bas débit n'est pas pris dans les glaces!<br /> bisous<br /> micheline
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A
Tu sais, entre la Seine et Marne et les Alpes Maritimes, la différence de climat, quelquefois, n'est pas à l'avantage de qui l'on croit...Et puis, en Seine-et-Marne, tu devrais encore trouver une chauffrette à braises, ou une bouillotte à eau, ou au moins une brique d'argile, tu sais, une brique pleine de  22X11X5,5. Tu l'enroule dans un journal déjà lu et tu réchauffes ton bas débit...Allez, bonnes pmetites vacancesBises