Après la dernière guerre
C l i m a t
Veillée d’un soir d’hiver
On est à la cuisine. j’ai 10 ans, c’est le soir.
Le repas pris, la vaisselle faite, ma mère reprise ou coud, sa boite sur la table, son linge sur ses genoux. Mon père écosse sa botte de haricots journalière.
Sur la cuisinière, l’eau de la bouilloire chuinte.
On entend le vent, dehors, qui siffle dans les branches, fait claquer un volet.
On est en 45, « après la guerre ». sur son étagère, au-dessus de la toile cirée, la TSF (on dit la "tessef") trône. Elle nous a rapporté les nouvelles des combats; en clair : « Radio-Paris ment, Radio-Paris est Allemand » et en brouillées, arrivant d’Angleterre : « Ici Londres ! Ici Londres : un Français parle aux Français… »
La guerre est terminée, c’est l’émission du soir. « Pêle-mêle Cadoricin », peut-être. Un nouveau comique fait rire ma mère : on l’appelle Bourvil, il parle bizarrement
et a un drôle de rire… qui fait rire.
Mon père ne rit jamais. Ce soir, comme tous les soirs d’hiver, il lit, son livre posé sur la table, en écossant ses haricots. Jean Nohain, qui parle dans la TSF, ne le dérange pas : Il n'entend que ce qui l’intéresse. pour l’humour, il préfère celui des chansonniers. Mais quand arrive Monsieur Champagne, (un érudit capable de répondre aussi bien qu’un ordinateur d’aujourd’hui à toutes les questions sur l’histoire)
Ses sourcils se froncent : ma mère et moi devons nous taire.
Il doit être 8 heures, je joue par terre, avec les haricots mauvais, une boite vide d’allumettes, un morceau de ficelle...
Le vent attise le feu qui ronfle. Ma mère tourne la clé du tirage, ferme la porte de côté du foyer pour réduire la fournaise. Elle ferme trop, ça fume un peu...
On m’enverra au lit d’ici une demi-heure. Avant, j’aurai à aller faire pipi dehors : on n’a pas l’eau courante, pas de sanitaire à l’intérieur.
Sur l’évier, la pompe en cuivre brille. Astiquée tous les jours, elle tire du puits l’eau de la toilette et celle du ménage. Et celle aussi nrécessaire aux repas. Et encore, celle que l’on boit.
Mes parents monteront à leur chambre au plus tard à neuf heures. Les draps vont être frais, comme tous les soirs d’hiver. il n’y a que la cuisine qui ait sa cuisinière. Le couloir et les chambres ’ont pas droit au nchauffage, comme la salle à manger.
Papa écosse et Maman coud, c’est le premier hiver de l’après guerre. Dehors, il y a du vent. Je suis heureux : Je joue au coin du feu.