Dépassé de passer devant son passé...?

Publié le par aben


Le vaisselier de mon grand'père

Danser devant le buffet signifiait que l'on était resté sans manger.
J'ai la chance, chaque matin,
de prendre mon petit déjeûner devant le nôtre,
et non pas d'y "danser".

J'ai dit "buffet "...? C'est que ça m'a échappé...
Vaisselier aurait été mieux.
La partie basse,
à deux larges portes surmontées de tiroirs, 
aurait pu, à l'à peu près,  être qualifiée, de "buffet"...
et encore,
seulement par quelqu'un de profane. 
On y range la vaissselle dans assez de place 
pour que celle des jours ne gêne pas celle du dimanche.
Les "papiers" dorment dans les tiroirs.
La partie haute est posée dessus.
L'artisan lui a disposé trois rayons,
rainurés à l'avant,
pour que l'on puisse y dresser des assiettes,
en décors,
sans le risque de les entendre tomber.

Si je parle de notre vaisselier,
c'est qu'il nous vient de l'un de nos aïeux.

Le père de mon grand'père était tourneur,
et un peu paysan cultivateur.
Il faisait des pieds de tables et de chaises 
et les manches d'outils pour ceux qui travaillaient la terre.
Mon grand-père, le fils du tourneur, était devenu charron.
Il faisait ces grandes roues, en bois cerclé de fer
qui équipaient les charrettes et voitures à moisson.
Et même : il faisait les voitures elles-mêmes.

Je n'ai pas connu mes grands parents,
mais ma mère nous en a si souvent parlé
q
ue je crois assez bien savoir,
aujourd'hui,
la façon qu'ils ont eu de vivre.

Chez mes parents, quand j'étais gosse,
il y avait un "buffet",
dans des dépendances faisant office de "petite cuisine d'été".
Jamais chauffée l'hiver.
Un buffet réhaussé d'une étagère : le vaisselier de mon grand'père...!

Jeune marié, pour meubler notre salle à manger,
j'avais séparé le haut du bas.
La partie rayonnage,
généreusement vernie,
posée par terre,
faisait office de bibliothèque.
Le buffet contre le mur d'en face nous servait de rangement.
Jusqu'à ce qu'un jour, on l'ait fait restaurer,
le vaisselier de ce grand'père
que son meuble nous avait fait connaître.

Avant nous, il n'avait jamais servi que de mobilier secondaire.
C'était pour le plaisir que le charron avait voulu le faire.
Sa femme l'avait refusé dans sa maison : ça aurait pris trop de place !
Et toutes ces simagrées pour montrer des assiettes...

Il était resté dans l'atelier.
Longtemps le grand'père y avait rangé les outils.
Les gouges de son papa tourneur
y avaient cotoyées les planes et les ciseaux,
les scies et les rabots du fils charron,. 
Jusqu'à ce que le meuble revienne à ma mère.

Aujourd'hui, tout les matins, en prenant mon petit déjeûner,
je lui tourne le dos .
Je sais qu'il me regarde.
Je crois qu'il est heureux... 

Quoique, des fois,
je me demande si l'odeur de sciure et de copeaux ne lui manque pas...?

Publié dans Témoignage

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N
Très joli hommage à ton arrière grand-père... Moi j'adore les vieux meubles. Mes parents voulaient jeter la vieille commode de mon grand-père qui puait le cigarre et le rhum... moi je l'ai récupéré pour le tranformer en meuble à chaussures dans l'entrée. Tu crois qu'il sent l'odeur de nos chaussures mon pépé ? :-)
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A
Un homme qui savait vivre ton gran-père : Rhum et cigares, c'est le pied ! Toutes ces chaussures, ça doit lui rappeler le bon temps...!
F
C'est vraiment un texte émouvant que tu nous a écrit là ; c'est vrai, les objets anciens sont comme habités par ceux qui les ont créés et les ont utilisés avant nous ; ils traversent, presque sans dommage, les générations, il n'en ira pas de même du mobilier en toc produit de nos jours.
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A
Je le pense aussi, la durée de vie des hommes s'est allongée, celle des objets devient de plus en plus courte. Il faut bien peu d'années pour démoder un ordinateur...<br /> Le monde moderne vit au présent...
C
Belle histoire<br /> Mes meubles de famille j'y tiens plus que tout le reste. Quand je regarde le grand miroir, je pense à mes ancêtres qui un jour s'y sont regardés<br /> Gros bisous
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A
Peut-être que pour bien se voir, se voir avec sincèrité,  on doit, de temps en temps,  se regarder dans les yeux de son passé.
J
"Je sais qu'il me regarde. <br /> Je crois qu'il est heureux..."<br /> <br /> Je m'y retrouve. Chaque matin, je regards le buffet (garde linge en bas, burau ancien en haut) venant de mon arrière grand-mère et je me dis: "elle me regard, maman me regard, elles sont heureuse pour moi et me sourient."
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A
"Objets inanimés, avez-vous donc une âme... " a dit le poête. <br /> A lire ces quelques notes, je m'en suis convaincu.
M
Je te retrouve bien avec cette narration sur le vaisselier souvenir. Ma grand-mère en avait un également et je me souviens de tout ce qu'elle pouvait mettre dans les petites galeries très bien travaillées. C'était un plaisir que de voir tous les détails, une oeuvre d'art à lui tout seul. Hélas la vie de mutante de maintenant ne nous permet plus d'avoir des meules imposants. Tout en kit... Kit dit mieux ? Non
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A
Et oui, la vie change. Nos anciens mettait des fois une vie à se préparer des vieux jours... pour, le plus souvent, ne pas en profiter bien longtemps. Ils passaient leur temps à "faire", aujourd'hui, on en passe plus à "consommer". Les temps ont bien changé. Il nous faut vivre avec eux et reconnaiître qu'ils ont aussi du bon...